Sous les lumières blafardes d’un hôpital parisien, allongée sur une table en acier, Camille vit un moment aussi attendu que redouté. La toute première ponction de ses ovocytes : la réalisatrice de trente-cinq ans a décidé de les congeler pour se laisser une chance d’avoir des enfants. L’équipe médicale est aux petits soins, un air des Beatles résonne dans la pièce, histoire de détendre l’atmosphère avant l’anesthésie locale.
Un moment tout particulier pour Camille, qui, jusqu’à il y a un an, ne pensait pas avoir à traverser tout ça. « J’étais en couple pendant cinq ans avec un compagnon qui m’assurait désirer des enfants. J’étais sûre de vouloir être mère, mais j’attendais d’être bien installée dans ma vie professionnelle avant de me lancer. Cela n’est arrivé qu’aux alentours de trente-deux ans », explique celle qui a désormais réalisé plusieurs documentaires et un court-métrage de fiction. Sauf que la vie prend un tournant inattendu : son compagnon la fait patienter pendant encore deux ans... avant de la quitter. « J’ai à peine eu le temps de sécher mes larmes ; j’ai couru chez mon gynécologue pour faire un bilan de fertilité et me renseigner sur les options : "PMA femme seule" ou congélation des ovocytes ». C’est dans cette deuxième voie qu’elle décide d'abord de se lancer.
Comme elle, depuis fin 2021 et le vote de la loi bioéthique, plus de 20 000 femmes ont fait une demande de ce que les médecins appellent une « autoconservation non médicale d’ovocytes ». « La France a fait un pas de géant. Du jour au lendemain, la congélation des ovocytes pour raisons non médicales est devenue non seulement possible mais aussi intégralement remboursée » souligne Pietro Santulli, gynécologue-obstétricien, responsable de l’unité médecine de la reproduction au sein de l’hôpital Cochin Port Royal. « Les profils sont différents, mais, dans notre hôpital, environ 65 % des demandes sont faites par des femmes autour de trente-cinq ou trente-six ans – juste avant la date butoir fixée par la loi ».
La loi bioéthique donne en effet des bornes d’âge : le prélèvement d’ovocyte est possible entre vingt-neuf et trente-sept ans. À Marseille aussi, « la grande majorité des femmes qui font cette demande ont environ trente-cinq ans. Elles n’ont pas la possibilité de faire un enfant avec quelqu’un à ce moment-là et voient l’horloge qui tourne. Elles décident de mettre des ovocytes de côté dans l’espoir d’un projet parental à deux » ajoute Catherine Guillemain, cheffe de service de biologie de la reproduction à l’hôpital de la Conception.
D’autres femmes ne veulent pas d’enfants au moment de la congélation, mais entendent se donner le choix dans le futur. Dans ce cas, la congélation d’ovocytes sert aussi, d’une certaine manière, à « assumer le lourd choix de la non-maternité » à un instant donné, comme l’écrit l’anthropologue Yolinliztli Pérez-Hernandez. « Avoir des ovocytes congelés place ces femmes non dans le groupe des "sans enfant", mais dans celui des "pas encore mères" ».
Source : www.nationalgeographic.fr