Jean Birnbaum : Un monde sans enfants est un monde mort. Quand on note un effondrement des naissances, c’est qu’il existe aussi un essoufflement de l’espérance, définie comme une manière de maintenir un avenir ouvert. Si aucun horizon désirable ne se présente à nous, cela a forcément un effet sur le désir d’enfant. Il s’agit d’une crise de l’espérance.
De ce point de vue, je cite souvent Hannah Arendt. Elle n’a pas eu d’enfant elle-même, mais elle a été la première philosophe à affirmer que la natalité ne devait pas être vue comme une catégorie légère ou anecdotique, mais au contraire avoir une place centrale dans toute pensée politique. On ne peut pas penser un nouveau monde, plus juste, plus humain, sans nouveau-nés.
J. B. : Il y a plus d’une raison de ne pas vouloir d’enfant. Mais je constate une évolution. Naguère, on évoquait des motifs personnels, l’équilibre du couple, un trauma familial… Le non-désir d’enfant était donc lié à des choix individuels. Or aujourd’hui il devient un idéal collectif. Hier, on hésitait à mettre au monde un enfant dans un monde violent ; aujourd’hui, certains affirment qu’il faut protéger le monde… de la violence des enfants, et notamment des dégâts qu’ils causeront à la planète.
Mais que veut dire sauver le monde, si c’est un monde sans enfants ? Cette façon de considérer l’enfant comme une menace me semble étrange et inquiétante. J’éprouve au contraire la sensation solide que c’est quand l’humanité semble au bord du gouffre qu’il faut donner vie aux êtres qui créeront du neuf, les porter comme ils nous portent. C’est encore Arendt qui le dit : chaque enfant est un « miracle qui sauve le monde ».
Source : www.la-croix.com