Faut-il légaliser l'euthanasie ? - Arrêt de l'alimentation ou de l'hydratation, sédation profonde, euthanasie passive ou euthanasie active, suicide assisté… La fin de vie soulève encore de nombreuses questions. Entretien croisé avec Olivier Rey et Véronique Fournier.
Les progrès de la médecine, qui permettent de vivre plus longtemps et en meilleure santé, ont aussi une conséquence moins heureuse : le fait que des personnes qui, auparavant, se seraient rapidement éteintes, se trouvent durablement maintenues en vie dans un état où leurs facultés sont très gravement altérées (voir à ce sujet l'article d'Anne-Laure Boch, "Quand la médecine engendre des handicapés", Le Débat, n° 174, mars 2013). C'est dans ce contexte qu'a été votée en France en 2005 une loi, dite "loi Leonetti" (du nom du député Jean Leonetti, ancien médecin cardiologue, qui l'a portée au Parlement) qui autorise un patient, lorsqu'il juge que le traitement qui lui est administré relève d'une "obstination déraisonnable", à refuser ledit traitement, quand bien même ce refus l'expose à mourir. La même loi impose aux équipes médicales de s'abstenir d'elles-mêmes de cette "obstination déraisonnable", ce qui les invite à suspendre certains traitements lorsqu'il apparaît que leur poursuite n'a plus de sens sur le plan médical, auprès de patients qui ne sont plus en état d'exprimer leur volonté. La loi votée en 2016, dite "loi Claeys-Leonetti", renforce la valeur des "directives anticipées" que les patients sont à même de formuler, en prévision d'une situation où ils ne seraient plus en mesure d'exprimer leur volonté, ainsi que le rôle d'une personne de confiance désignée. Elle permet également à un patient qui souffre et dont la mort est proche et inéluctable de demander une sédation profonde et continue jusqu'au décès.
Au crédit de la loi actuelle, il faut mettre sa prudence, qui fait qu'elle a été globalement bien reçue dans les établissements où elle doit être appliquée. Certes, les personnes qui militent pour la possibilité d'une euthanasie active et du suicide assisté demeurent insatisfaites. Par ailleurs, de rares cas peuvent donner lieu, par absence de consensus au sein de l'équipe médicale ou de la famille d'un patient inconscient, à d'intenses débats, dont l'affaire Vincent Lambert fut emblématique. Cela étant, il serait vain d'imaginer que, sur un tel sujet, une quelconque loi puisse régler toutes les controverses, dont la loi dans son état présent limite le nombre.
Depuis la loi du 9 juin 1999(nouvelle fenêtre) ayant affirmé le droit de tous à accéder à des soins palliatifs en fin de vie, deux lois supplémentaires ont été adoptées en la matière. En 2005, la loi Leonetti a eu pour objet principal de consacrer le devoir des médecins à ne pas pratiquer d'"obstination déraisonnable", ce que l'on appelait jusque-là l'acharnement thérapeutique, ainsi que le droit des patients en miroir à ne pas le subir. Elle a aussi introduit le concept de directives anticipées, permettant à chacun de faire connaître à l'avance ses volontés concernant sa fin de vie pour le cas où il ne serait plus en capacité de s'exprimer par lui-même le moment venu.
Après que la mission Sicard, commandée par le président de la République François Hollande, a révélé que la loi de 2005 n'avait pas suffi pour améliorer les conditions de la fin de vie en France, la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 devait tenter de remettre le curseur de la décision de fin de vie du côté des patients, estimant que la loi de 2005 s'était surtout adressée aux professionnels. La nouvelle loi a renforcé le pouvoir des directives anticipées pour les rendre plus contraignantes. Elle a aussi introduit la possibilité pour le patient de bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès si son pronostic vital est menacé à court terme et que l'on n'arrive pas à soulager ses souffrances. Force est de reconnaître que la loi de 2016 n'a pas réussi, elle non plus, à résorber les difficultés qui persistent en matière de fin de vie. Si le plus souvent, celle-ci se passe aussi sereinement que possible, il reste encore trop de situations où tel n'est pas le cas. Il se pourrait même que la dernière loi ait d'une certaine façon crispé les oppositions lorsqu'elles existent autour du patient qui se meurt, les uns estimant qu'il est temps de l'accompagner à bien partir, les autres contestant le moindre geste qui aurait pour intention de précipiter le mouvement.
Source : vie-publique.fr