Fin de vie : « on supprime la liberté au nom de la liberté »

Fin de vie : « on supprime la liberté au nom de la liberté »
Publié le
June 6, 2025
Fin de vie : « on supprime la liberté au nom de la liberté » - Dans un ouvrage récent, Contradictions médicales et autres bizarreries affectant le droit, la santé et la vie, Danielle Moyse, professeur agrégée de l’Université et titulaire d’un Doctorat de philosophie, rassemble 15 ans de réflexions. Du dépistage prénatal à la fin de vie, elles restent d’une brûlante actualité. Entretien.

Gènéthique : Dans l’ouvrage Contradictions médicales et autres bizarreries affectant le droit, la santé et la vie, vous rassemblez 15 ans de chroniques pour le journal La Croix. Quel regard portez-vous sur ces années passées ? Quelles ont été les évolutions majeures ?

Danielle Moyse : Je crois que, philosophiquement, tout est en place depuis très longtemps pour qu’on en vienne à assister de façon de plus en plus résolue à la concrétisation d’une certaine idée de la liberté : celle à la faveur de laquelle chacun est supposé décider de soi, à partir de soi… En ne voyant pas sur quels déterminismes sociaux repose une pareille idée ! Si l’on ne prend que l’exemple, tristement actuel, de la loi sur la fin de vie, il est évident que la question qu’il faudrait se poser est celle de savoir à quel défaut d’accompagnement, renvoient les demandes d’euthanasie ? Se conjuguent ici une certaine idée de la liberté (être libre ce serait s’auto-créer, puis s’auto-supprimer), et des déterminismes sociaux qui font de plus en plus clairement entendre aux plus vulnérables qu’ils n’ont pas leur place dans la société. L’affirmation croissante de cet homme « autodéterminé » est souvent aveugle à l’abandon croissant de l’homme par l’homme qu’elle peut présupposer.

De plus, l’idée suivant laquelle l’homme est un pur produit de l’homme, en vient à confondre entièrement le « naturel » et l’artificiel. Ce qui a été fascinant dans les débats concernant cette loi, c’est qu’on ait pu imaginer une seule seconde faire figurer dans la loi qu’une mort par euthanasie ou par suicide assisté, pouvait être considérée comme une mort « naturelle » ! (cf. L’« aide à mourir » qualifiée de « mort naturelle » : le « mensonge sémantique » poussé « encore plus loin ») Cette phrase a finalement été supprimée, mais elle est très éloquente ! Qu’on ne perçoive plus la différence entre mort naturelle et mort délibérément produite en dit long sur la confusion des esprits. Nous ne sommes précisément plus capables de nous ouvrir au « naturel », c’est-à-dire, si l’on prend la définition grecque, à ce qui éclôt de soi et par soi…. C’est pourquoi, par ailleurs, nous saccageons sans le moindre respect toute la vie foisonnante autour de nous avec une violence et une rapidité sans précédent, tandis que certains envisagent par ailleurs de ressusciter en laboratoire des espèces disparues, il y a des milliers d’années… (cf. Une espèce de loup ressuscitée ? L’annonce enjolivée de Colossal Biosciences) Cela paraît paradoxal mais en réalité, c’est parfaitement cohérent ! Nous avons du mal avec le naturel, c’est-à-dire avec ce qui pourrait advenir de lui-même si nous acceptions encore de nous y ouvrir…. Le rapport à nous-mêmes comme à l’ensemble du vivant est sous tendu par la même logique, c’est-à-dire par une certaine difficulté à accompagner le mouvement de la vie, au lieu de prétendre, à tous les niveaux, en « maîtriser » le cours… C’est pourquoi, dans mes chroniques, j’ai fait place à une réflexion sur le rapport de l’être humain à sa propre vie, mais aussi à l’ensemble du vivant, les animaux en particulier… (cf. L’extermination du vivant ou le suicide de l’homme, éditions du Cerf).

G : Le dépistage prénatal est l’un des sujets au cœur de votre réflexion. Vous interrogez : « Comment éviter la mise en place sournoise d’une gestion de plus en plus normative des naissances, où nos sociétés de contrôle auront resserré de façon si draconienne les mailles du filet sélectif, qu’elles soumettront le droit de vivre à des normes d’autant plus efficaces qu’on n’en ressentira même plus le caractère coercitif ? » « Le droit de sélectionner, brandi au nom de la liberté, ne sera-t-il pas alors l’aliénation suprême, puisqu’elle ne sera plus même ressentie ? » Ces questions, ces réflexions, ne seraient-elles pas aussi pertinentes en matière de fin de vie ? La « liberté » ne serait-elle pas paradoxalement une nouvelle forme de coercition qui ne dit pas son nom ?

DM : Je suis parfaitement d’accord avec ce diagnostic ! Si l’on revient à la seule question de la fin de vie, il est tout à fait inquiétant que les pharmaciens soient, sur ce chapitre, en passe de perdre le droit à l’objection de conscience : « Vous êtes libres, mais à condition d’aller dans le sens, où l’on vous dit d’aller » ! (cf. « Une loi se voulant de liberté pour tous doit aussi l’être pour les pharmaciens ») De même, tout obstacle à une demande d’euthanasie serait passible de sanction, mais l’incitation à l’euthanasie ne le serait pas ! (cf. Double peine pour le délit d’entrave, absence de délit d’incitation : les députés concluent l’examen de la proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir ») Qu’est-ce qu’une liberté qui irait dans un seul sens ? Donc, oui, on supprime la liberté au nom de la liberté !

Source : www.genethique.org

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Commentaire du CPDH

L’être humain ne fait plus la différence entre le naturel et l’artificiel. C’est ce que suggère le fait de considérer l’euthanasie ou le suicide assisté comme une mort naturelle. Danielle Moyse fait le parallèle entre le dépistage prénatal pour sélectionner les enfants qui ont le droit de vivre, et la fin de vie des plus vulnérables qui ne serait pas un droit à mourir, mais un devoir de mourir. Dans un contexte de crise écologique, ne devrait-t-on pas aller plutôt vers l’acceptation du naturel, du début à la fin de vie ?

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